Les tendinopathies achilléennes (TA) ont une incidence et prévalence assez élevée chez les sportifs. Jusqu’à 20% des coureurs à pied, en particulier de longues distances, peuvent développer cette pathologie au cours de leur pratique [1]. Nous savons par ailleurs que même si l’évolution à long terme (8 ans) est globalement positive des déficits persistent [2]. Un étude récente montre ainsi que sur une cohorte de 22 coureurs à pied des symptômes persistent en moyenne presque 3 ans et demi après leur apparition [3]. Il est aussi connu que le taux de récidive peut atteindre 27% [4].
Il n’y a actuellement pas de critères validés pour autoriser un sportif souffrant de TA à reprendre le sport de manière libre et sécuritaire. Karin Silbernagel et Kay Crossley ont proposé un programme de remise en charge progressive basé sur la perception de la douleur par le patient (pain monitoring model) [5]. Se baser uniquement sur la douleur perçue pourrait ne pas suffire surtout lorsque l’on traite des patients sportifs. En effet, s’assurer de la fonction du tendon avant la reprise complète du sport pourrait être un atout dans la lutte contre les récidives dans cette population. Afin de construire une batterie de tests adaptés il semble important de comprendre les déficits pouvant persister chez les patients ayant repris le sport après une TA. Corrigan et al. ce sont attelés à cette tâche dans un étude transversale récemment publiée et que nous allons un peu détailler dans les paragraphes qui suivent [3].
Les participants
Vingt-quatre coureurs à pied (20 dans l’analyse) ont été recrutés. Ils ont tous repris la course à pied après avoir souffert d’une TA (5 bilatérales) et n’éprouvent plus de symptôme dans les activités de la vie quotidienne depuis au moins un an. Ils ressentent toutefois une gêne lors de la course à pied.
Ce que les auteurs ont évalué :
- La sévérité des symptômes via le score VISA-A,
- La sensibilisation des voies de la douleur via le Quantitative Sensory Testing (QST),
- La douleur, quantifiée à l’aide d’un échelle numérique (EN), lors de la mise en contrainte,
- La morphologie du tendon,
- Les propriétés mécaniques du tendon,
- La fonction du membres inférieurs à l’aide de différents types de sauts ainsi que le Heel rise test,
- Évaluation des contraintes s’appliquant sur le tendon lors de la course à pied à l’aide d’un tapis roulant instrumenté et d’un système de motion capture.
Ce qu’ils ont trouvé :
Nous allons ici résumer les résultats principaux de l’étude.
Le score Visa-A est significativement plus faible du côté le plus symptomatique et la douleur est plus important de ce côté lors de la mise en contrainte du tendon. En ce qui concerne la structure du tendon, sa taille de section est plus importante du côté le plus symptomatique. Quant à ses propriétés mécaniques, une compliance plus importante est retrouvée (c.a.d déformation plus importante lors de l’application d’une contrainte). La hauteur de saut au single leg drop jump (SLDJ) (fig.1) est significativement moins importante du côté le plus symptomatique et l’indice de force réactive plus faible (= moins bonne qualité pliométrique). Il n’est pas retrouvé de différence statistiquement significative entre les forces qui s’appliquent au tendon lors de la course à pied entre côté sains et symptomatiques. En revanche il est retrouvé une corrélation entre la différence inter-jambe de hauteur de saut au drop jump et les différences inter-jambes de forces s’appliquant au tendon lors de la course.

Que pouvons-nous en conclure pour notre pratique quotidienne ?
Cette étude est une étude pilote et présente quelques limites. Toutefois, c’est une des premières à évaluer certains paramètres morphologiques et biomécaniques chez des coureurs considérés dans leur phase de retour au sport. Il est connu que les patients souffrant de TA ont des déficit sur les différentes spectres de la force (maximale, réactive et explosive) [6]. Nous savons aussi que la disparition des symptômes n’assure pas une bonne récupération de la fonction musculo-tendineuse [7]. Cette étude nous en apprend un peu plus sur ce qui se passe chez des patients ayant repris le sport à un niveau quasi équivalent à leur niveau d’avant blessure.

Il semble que certaines propriétés mécaniques du tendon, telle que sa raideur, restent altérées. Cela va affecter une des fonctions essentielles du couple muscle/tendon qui est le cycle d’allongement raccourcissement. Nous savons qu’il existe une corrélation entre la raideur du tendon et temps de contact au sol, et donc l’indice de force réactive, lors d’un Drop jump [8]. Plus le tendon est raide plus le temps de contact au sol est court. Il est aussi connu que la raideur du tendon peut être améliorer par des exercices de renforcement lourd (90% MVIC) [9]. Cela pose donc différentes questions, sur la qualité du renforcement musculaire effectué par ces patients lors de leur rééducation ou bien sur la persistance de déficits neuro-moteurs par exemple. Le travail de Sancho et al, laisse supposer qu’un objectif de renforcement à 1,5x le poids du corps en 6RM au seated heel raise soit pertinent (fig.2) [10]. Il faudra aussi s’assurer de cibler le cycle d’allongement raccourcissement et l’application rapide des contraintes. Rappelons que le tendon d’Achille subit un taux d’application de la charge supérieur à 50BW/s lors de la course à pied. Ce qu’il ressort aussi de cette étude est la confirmation que le drop jump est un test particulièrement intéressant pour évaluer ces paramètres chez un athlète souhaitant reprendre le sport après une TA. Avoir une symétrie dans des paramètres facilement évaluables tels que la hauteur de saut, la raideur du membre inférieur ou l’indice de force réactive semble être un minimum pour s’assurer d’un cycle d’allongement raccourcissement efficace et donc d’une bonne récupération de la fonction musculo-tendineuse (fig. 3).

Sancho et al, proposent dans leur étude un programme intéressant de renforcement musculaire et d’amélioration de la fonction musculo tendineuse dans la cadre de TA chez les coureurs à pied [10] (fig.4). La progression de ce programmes est basé sur la douleur ressentie par le patient.

Pour conclure, vos patients peuvent n’avoir presque plus de symptômes et avoir repris une activité à un niveau pré-blessure ce n’est pas pour cela que des déficits ne sont plus présent. Evaluez vos patients de manière appropriée et adaptez vos programmes de rééducation en fonction des déficits observés. Il n’y a pas de recette miracle valable pour tout le monde !
Références:
[1] A. D. Lopes, L. C. Hespanhol, S. S. Yeung, and L. O. P. Costa, ‘What are the Main Running-Related Musculoskeletal Injuries?’, Sports Med, vol. 42, no. 10, pp. 891–905, 2012, doi: 10.1007/BF03262301.
[2] M. Paavola, P. Kannus, T. Paakkala, M. Pasanen, and M. Järvinen, ‘Long-Term Prognosis of Patients With Achilles Tendinopathy’, The American Journal of Sports Medicine, vol. 28, no. 5, pp. 634–642, Sep. 2000, doi: 10.1177/03635465000280050301.
[3] P. Corrigan, S. Hornsby, R. T. Pohlig, R. W. Willy, D. H. Cortes, and K. G. Silbernagel, ‘Tendon loading in runners with Achilles tendinopathy: Relations to pain, structure, and function during return‐to‐sport’, Scandinavian Med Sci Sports, vol. 32, no. 8, pp. 1201–1212, Aug. 2022, doi: 10.1111/sms.14178.
[4] M. Gajhede-Knudsen, J. Ekstrand, H. Magnusson, and N. Maffulli, ‘Recurrence of Achilles tendon injuries in elite male football players is more common after early return to play: an 11-year follow-up of the UEFA Champions League injury study’, British Journal of Sports Medicine, vol. 47, no. 12, pp. 763–768, Aug. 2013, doi: 10.1136/bjsports-2013-092271.
[5] K. Grävare Silbernagel and K. M. Crossley, ‘A Proposed Return-to-Sport Program for Patients With Midportion Achilles Tendinopathy: Rationale and Implementation’, Journal of Orthopaedic & Sports Physical Therapy, vol. 45, no. 11, pp. 876–886, Nov. 2015, doi: 10.2519/jospt.2015.5885.
[6] S. McAuliffe et al., ‘Altered Strength Profile in Achilles Tendinopathy: A Systematic Review and Meta-Analysis’, Journal of Athletic Training, Aug. 2019, doi: 10.4085/1062-6050-43-18.
[7] K. Gravare Silbernagel, R. Thomee, B. I. Eriksson, J. Karlsson, and K. Khan, ‘Full symptomatic recovery does not ensure full recovery of muscle-tendon function in patients with Achilles tendinopathy * COMMENTARY’, British Journal of Sports Medicine, vol. 41, no. 4, pp. 276–280, Feb. 2007, doi: 10.1136/bjsm.2006.033464.
[8] M. Abdelsattar, A. Konrad, and M. Tilp, ‘Relationship between Achilles Tendon Stiffness and Ground Contact Time during Drop Jumps’, J Sports Sci Med, vol. 17, no. 2, pp. 223–228, May 2018.
[9] K. Albracht and A. Arampatzis, ‘Exercise-induced changes in triceps surae tendon stiffness and muscle strength affect running economy in humans’, European Journal of Applied Physiology, vol. 113, no. 6, pp. 1605–1615, Jun. 2013, doi: 10.1007/s00421-012-2585-4.
[10] I. Sancho, D. Morrissey, R. W. Willy, C. Barton, and P. Malliaras, ‘Education and exercise supplemented by a pain-guided hopping intervention for male recreational runners with midportion Achilles tendinopathy: A single cohort feasibility study’, Physical Therapy in Sport, vol. 40, pp. 107–116, Nov. 2019, doi: 10.1016/j.ptsp.2019.08.007.
[11] R. W. Willy, L. Halsey, A. Hayek, H. Johnson, and J. D. Willson, ‘Patellofemoral Joint and Achilles Tendon Loads During Overground and Treadmill Running’, Journal of Orthopaedic & Sports Physical Therapy, vol. 46, no. 8, pp. 664–672, Aug. 2016, doi: 10.2519/jospt.2016.6494.